Le vol à l’étalage est en pleine recrudescence en Belgique. S’il n’existe pas de solution miracle pour lutter contre ce fléau, la fédération professionnelle Aplsia appelle à davantage de concertation avec les autorités pour trouver une solution reproductible par tous les secteurs.

Le 27 janvier 2022, le ministre de la Justice de l’époque, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), annonçait la mise en place d’un nouveau système pour lutter contre le vol à l’étalage dans les commerces belges : une amende sous forme de perception immédiate pouvant monter à 350 euros qui évite au délinquant de voir une ligne ajoutée à son casier judiciaire. En cas de refus de transaction, c’est le bureau du procureur qui est censé porter l’affaire devant le tribunal.


Trois ans et demi plus tard, force est de constater que cette mesure n’a pas eu l’effet escompté. Les derniers chiffres du vol à l’étalage, qui englobent l’année 2023, comptabilisent plus de 24.000 signalements dans notre pays. Un total record qui n’avait plus été atteint depuis dix ans et qui est largement sous-estimé. Selon Aplsia, l’Association Professionnelle du Libre-Service Indépendant en Alimentation, seuls 10 % des vols sont déclarés par les commerçants. Et quand ils le sont, à peine 28 % des dossiers arrivent finalement sur le bureau d’un juge ! « C’est clairement un phénomène qui prend de l’ampleur. On ne parle pas de recrudescence, mais de quelque chose de vraiment plus important », déplore Pascal Niclot, président d’Aplsia. 

Le nombre de propositions de transactions immédiates reste, lui, extrêmement faible, avec 60 cas enregistrés en moyenne par mois. « C’est un pas dans la bonne direction qui est cependant clairement insuffisant, surtout qu’on a très peu communiqué sur le sujet, tant auprès du grand public que de la police. Puis ce prélèvement immédiat, on ne peut pas l’appliquer nous-même, c’est aux autorités de s’en occuper. On doit donc garder le voleur dans le magasin, ce qui est très compliqué car il cherche évidemment à quitter les lieux le plus vite possible. Et le personnel a légitimement peur d’une escalade de violence à son égard… ». 

Celui qui est à la tête de plusieurs magasins Delhaize pointe l’autre problème majeur de cette loi : la perception en tant que telle. « Pour nous, c’est vraiment la double peine car cet argent va directement dans la poche de l’État », glisse-t-il. C’est pourquoi Aplsia plaide pour un modèle qui se rap-procherait fortement du système hollandais intitulé « Afrekenen met winkeldieven ». Le principe ? Il est plutôt simple. « C’est un dispositif de perception d’amendes forfaitaires et libératoires de 180 euros perçus par une société de recouvrement et partiellement ristournés au commerçant victime. Ce système a fait ses preuves puisque les voleurs paient dans 80 % des cas et que le nombre de délits a reculé », indique Pascal Niclot.
 

C’est essentiel de réagir face à ce phénomène appelé à prendre de plus en plus d’ampleur

Au quotidien, ce sont certaines marchandises qui attirent évidemment davantage l’oeil des voleurs que d’autres. Sans surprise, on retrouve dans cette liste non exhaustive l’alcool, les produits de première nécessité, voire ceux plus chers qui ne disposent pas de système antivol. « C’est essentiel de réagir face à ce phénomène appelé à prendre de plus en plus d’ampleur, uniquement car la vie est plus coûteuse. On a deux catégories de voleurs, ceux pour qui c’est un sport et ceux qui volent pour manger. Puis il y a toute la problématique du vol organisé, où ce sont des bandes organisées qui mandatent des petits délinquants pour dérober de grandes quantités de certains biens, comme du chocolat ou du saumon par exemple ». 
 

Pascal Niclot met en lumière un autre phénomène de plus en plus fréquent : la consommation directe dans les commerces. « C’est aussi une tendance qui se répand de plus en plus. Ces personnes consomment sur place pour se faire plaisir. Cela peut-être une canette de bière, un sandwich ou une viande. Quand on les prend sur le fait, elles assurent qu’elles allaient venir à la caisse avec l’emballage pour payer leurs biens consommés. Mais on sait très bien que ce n’est pas vraiment le cas… ».


Ça, c’est pour la grivèlerie plutôt classique du « petit délinquant ». Mais d’autres vols, parfois plus subtils, plombent également l’activité des commerçants. C’est par exemple le cas du vol de colis à la livraison. Ici aussi, la mise en place est simple comme bonjour. Disons qu’un commerçant commande vingt boites d’un certain produit. Il n’en reçoit finalement que 18. Les deux manquants ? Disparus. Ont-ils été dérobés durant le transport ? Le fournisseur a-t-il sciemment envoyé deux boites en moins ? Ou s’agit-il seulement d’une erreur humaine ? Difficile à dire. Mais le préjudice, lui, est bien présent.

Il arrive en outre que, parfois, le larcin soit réalisé par le personnel du magasin en question. Pascal Niclot donne l’exemple d’un commerçant victime d’une fraude aux tickets à gratter. La caissière faisait semblant d’encoder et scanner les tickets à gratter mais les mettait en fait dans sa poche. La loterie nationale s’en est rendu compte et a contacté le commerçant concerné. Il a alors analysé les images de caméras de surveillance et découvert le pot aux roses. « Je vais vous fournir un autre exemple. Certains magasins proposent à leurs salariés de rentrer avec les invendus. De temps en temps, des travailleurs en profitent pour partir avec des produits supplémentaires. Mais comment le prouver ? On essaye d’avoir une certitude, puis on en parle avec eux. Souvent, les caméras de surveillance permettent de révéler des vols. Mais cela pose une certaine ambiguïté. D’un côté, les autorités nous demandent généralement si on a les films des larcins mais d’un autre, on nous attaque sur des questions de RGPD et de vie privée. Il y a donc un conflit avec la réalité. Nos commerçants essayent de rester attentifs et organisent de plus en plus de contrôles. Mais ça prend aussi du temps et ce n’est pas toujours facile de prouver les faits », déplore-t-il.


Face à ces différents problèmes, Aplsia appelle les autorités à davantage de concertation. « J’aimerais qu’on se réunisse au sein d’un comité consultatif ou d’un groupe de travail, peu importe son nom. L’idée serait de discuter pour voir ce qui fonctionne ailleurs en Europe et trouver des solutions communes qui se prêtent à tous les secteurs car celui du libre-service alimentaire n’est pas le seul concerné », plaide Pascal Niclot. Aplsia appelle par ailleurs les autorités à « investir dans une meilleure communication et coordination des services de police et des parquets afin de considérer le vol à l’étalage non plus comme une ‘petite criminalité’, mais comme un grave délit, avec les conséquences financières et psychologiques qu’il entraîne pour les commerçants. L’application de sanctions sévères serait un signal fort qui devrait dissuader les voleurs ».


La fédération souhaite également que les commerçants puissent « internaliser des ‘stewards’ dans leurs magasins qui pourraient bénéficier d’aides à l’emploi. Ceux-ci rempliraient un rôle social et dissuasif auprès de la clientèle ».